En voie d’abstraction, de Rosmarie Waldrop, traduit par Françoise de Laroque

« Mais voilà que le zéro est arrivé, répandant ses méfaits à travers toute l’Europe chrétienne. » Réunissant intimement esprit critique et travail de poésie, Rosmarie Waldrop embarque ici dans l’histoire humaine (grandes découvertes, guerre d’Irak, musique, peinture, finances, croyances, philosophie) pour observer les progrès de notre pouvoir d’abstraction qui, malgré tous les ponts qu’il édifie sur le vide, ne le résoudra jamais.

••• Extrait (début) :

Un paysage marin est le point de départ du voyage. Une image de Christophe Colomb venue des abysses envahit l’hémisphère gauche. Profusion de langues sorties de nulle part. Enragées, embrouillées, implorantes. Mon père était hanté par des visions de Babel et de multiplication sur sa table. Inquiet qu’un surcroît de décharges neuronales simultanées ne provoque une crise d’épilepsie. L’attention de l’explorateur, tel le pied d’un escargot, collée aux planches des vaisseaux, dans l’incapacité de communiquer. Tout entière aux phénomènes physiques, vagues, baleines ou flèches empoisonnées. Mais plus tard un déferlement d’histoires que les indigènes n’auraient jamais imaginées. Comme si on pouvait kidnapper les langues aussi facilement que la verte prairie ombreuse couverte de fleurs.

••• L’autrice

Née en 1935 en Allemagne, Rosmarie Waldrop vit aux États-Unis. Elle est poète, traductrice et, avec son mari Keith Waldrop, co-dirige les éditions Burning Deck depuis 1961. Elle a traduit et publié plusieurs auteurs français, entre autres Edmond Jabès, Jacques Roubaud, Emmanuel Hocquard, ainsi que des poètes allemands. Des traductions de son travail ont été publiées en France (aux éditions de l’Attente, Spectres Familiers et Liana Levi) et dans de nombreux pays d’Europe.

••• La traductrice

Françoise de Laroque est née en 1947 et vit à Paris. Enseignante, critique, traductrice de l’anglais. Elle a publié dans diverses revues (Critique, CCP…) des textes sur des poètes contemporains (Anne-marie Albiach, Emmanuel Hocquard, Claude Royet-Journoud…) et traduit des poètes américains pour des revues, des anthologies et des livres. Notamment : Paul Auster, Espaces blancs, Unes, 1985, 2016.

••• Presse

Christian Rosset dans DIACRITIK a écrit:

“[…] Mais comment amorcer quelque commentaire critique à propos de ces cent cinquante pages entre prose et poésie, récit, notations, reportage intime et réflexion philosophique, qui ne soit pas en-dessous de l’original dont il est toujours préférable de reprendre quelques fragments, surtout si on vient d’une autre pratique que celle de l’écriture poétique ? (Ce que j’écris là n’est pas de l’ordre de la précaution, mais du constat). Une chance : ces vingt-quatre pages en hommage à John Cage, intitulées “La musique est une simplification excessive de la situation dans laquelle nous nous trouvons”, qui sonnent un peu comme un commentaire de ce que le compositeur, poète et plasticien américain nous a légués. Une fois encore, s’opère une entreprise de frottages entre deux intimités à la fois distantes et sensibles qui tentent d’atteindre à une certaine forme d’abstraction. Mais qu’est-ce que l’abstraction, sinon le plus concret de ce qui surgit ?”

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