Tiroir central, de Sophie Coiffier

Comment atteindre le fondamental en partant du dérisoire, d’un fouillis inquiétant et familier ? Nous sommes perdus, lost in translation, égarés dans le langage, dans des espaces difficiles à habiter, entre les cases des formulaires… Les chapitres-dossiers de ce tiroir central exposent des repères qui font signe : découvrir un certain sens au désordre, s’y reconnaître, retrouver un passage, un endroit déjà connu et de là, enfin, tracer son chemin, singulier et multiple.

Extrait (p. 11-12) :
C’est compliqué. C’est compliqué depuis toujours. Mais, là ça dépasse l’entendement, au sens littéral. On fait dire aux mots des choses qu’ils ne disaient pas avant ou bien on leur interdit d’en dire davantage. Imagine : tu désignes d’un doigt tremblant une chose, ton doigt tremble car bientôt tu ne sauras plus en dire quoi que ce soit. Avant, les mots paissaient paisiblement à flanc de coteau, ils attendaient patiemment qu’on les trouve, qu’on les ramène au lasso, qu’on fasse un troupeau au carré, alignant comme il se doit ces gentils animaux dans un ordre harmonique. Aujourd’hui, à l’image des ours bruns, des dauphins et du moineau domestique, les mots s’étiolent et disparaissent. Du coup, soit on se rabat sur ceux qui restent et un vocable rassemblera généreusement désormais sous son aile plein de significations différentes – à l’image d’une encyclopédie chinoise borgesienne, on entrera à nouveau dans un monde mythique acceptant le tohu bohu et le pithécanthrope dans la même case, si le mot compte double en plus, on pourra gagner la partie, (à condition, cependant, de trouver encore des gens avec qui jouer).

Sophie Coiffier est née à Bayeux en 1967. Elle vit et travaille à Paris et Port-Louis. Docteur en arts plastiques, elle a enseigné pendant plusieurs années, dirigé des mémoires de fin d’études et animé des ateliers d’écriture à l’ENSCI (École Nationale supérieure de Création Industrielle à Paris) et à l’Université de Rennes 2. Autrice et chercheuse indépendante, elle participe à différents projets d’exposition et de publication. Elle vient des arts plastiques, y retourne de temps en temps, les prolonge dans le texte. Elle a notamment publié Paysage zéro aux éditions de l’Attente en 2017 et, en 2020, Le poète du futur aux éditions Lanskine.

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