Album photo, de Jérôme Game

Traversant le flux des images qu’on produit et reçoit en continu aujourd’hui et sur lesquelles nos yeux glissent à vive allure, ce livre cherche à ralentir notre regard, à lui redonner une prise concrète sur le monde via une multitude de photopoèmes. Ces images-récits sonnent comme des débuts, ouvrent sur des possibles, invitent à faire un pas de côté hors de la frénésie pour retrouver un regard sensoriel et critique. Dans ce livre comme trempé dans du révélateur poétique, un contrechamp s’ouvre à même la photogénie de la globalisation.

••• Extrait (p. 29-33) :

En plein contre-jour, on voit la fenêtre du ferry-boat est énorme en biais, sur-éclairée de ciel azur, avec la mer emplissent l’image au centre, repoussant le crâne des passagers sur les bords, en ombres chinoises.

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Ça a zoomé. On voit mieux l’immense viaduc enjambant l’estuaire pixelisé à l’extrême au loin, en gris-clair, bien flou, avec un camion plus foncé au milieu et la tour en aiguille de seringue par derrière, élancée.

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On voit toute la partie gauche de l’image est complètement voilée avec les deux gratte-ciel au milieu, en contre-plongée, le ciel bleu là, et les branches sur le côté, saturés. C’est une cité radieuse on dirait, avec coulures de violet, de jaune aussi, de bleu délavés mangent tout le cadre verticalement, les nuages. On sent le soleil très fort en sous-jacent.

••• L’auteur

Né en 1971, Jérôme Game est un poète et écrivain français auteur d’une quinzaine d’ouvrages (recueils, essais, roman), de plusieurs CD (de poésie sonore), d’un DVD (de vidéopoèmes) et d’installations (visuelles et sonores). Parmi ses ouvrages récents : Salle d’embarquement (roman, L’Attente, 2017), DQ/HK (avec CD de poésie sonore, L’Attente, 2013), Sous influence. Ce que l’art contemporain fait à la littérature (essai, Mac/Val, 2012). Il vit à Paris et enseigne à la Haute École des Arts du Rhin.

••• Presse

Alain Nicolas dans L’HUMANITÉ a écrit:

Jérôme Game, quand le mot met l’image en pause

On le feuillette, on examine les rectangles bien nets, centrés sur la page. Disposés en mode portrait ou paysage, ils évoquent des scènes parfois bien identifiées, parfois partielles et énigmatiques. « Évoquent », et non « montrent ». « Album photo » n’est pas un livre d’images, mais un album de textes. La poésie, on le sait, entretient avec l’image des rapports complexes. Ingrédient obligé de la « puissance d’évocation » si recherchée à certaines époques, elle a été, à d’autres, reléguée dans le placard des oripeaux de la « vieillerie poétique ». Jérôme Game, qui avait déjà publié des DVD de « vidéopoèmes » pose un regard neuf sur la question de l’image « dans » le texte…

Fabrice Thumerel dans LIBR-CRITIQUE a écrit:

“Au lieu d’être synthétisées pour constituer une vision cohérente, les sensations sont enregistrées au fur et à mesure par une intuition purement empirique : dans notre monde régi par la logique du ressenti, prime la conscience immédiate, un instantanéisme lié à un monde qui vit en accéléré. Le phrasé béhavioriste traduit avec brio au plan phénoménal notre nouveau rapport au monde, immanentiste. C’est en cela que Jérôme Game renouvelle l’épiphanie, un peu à la façon de Michèle Métail dans ses Portraits robots (Les Presses du réel / al dante, 2018), qui, cependant, vise l’archétypal à coups de syntagmes juxtaposés.”

Adrien Meignan dans ADDICT-CULTURE a écrit:

“Ce qui ressort de cet Album photo est surtout son inventivité. Jérôme Game se saisit d’un sujet pour produire une forme poétique inédite. Il n’y a pas de discours ni de morale. Nous pouvons en tirer les conclusions que nous voulons. Le poète ne donne pas son opinion et nous laisse libre de l’interpréter. Ce que peut produire Album photo est sans doute une envie de diversifier sa façon de percevoir le monde. L’image confrontée au texte prouve qu’il existe plusieurs moyens de produire du sens.”

 

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