L’auteur le dit lui-même, ce poème sous-tend l’ensemble de son œuvre. Une enfance passée en famille d’accueil, évoquée en filigrane dans ses récits, nouvelles et romans, est ici abordée de front, sans personnage prétexte, en « je » direct. La versification permet la légèreté de la touche, par facettes, reflets fugaces. Pas de mélo, pas de pathos pesant malgré la dureté du drame, l’abandon, les morts. L’humour désabusé et l’émerveillement candide qui caractérisent l’écriture romanesque de Dominique Fabre se retrouvent dans sa poésie. Ainsi que ses thèmes de prédilection : la banlieue, la mélancolie attachante de la routine, les micro-évènements qui font chavirer le cœur… Avec son air de rien, Une enfance nous
montre combien le monde adulte nous empêche, nous contraint, et combien le territoire de l’enfance reste libre en nous.
Extrait (début) :
Quand la tristesse monte / en moi / l’enfance réapparaît /
enfance d’enfant placé / pièces sur les pantalons aux coudes /
tout ce qui s’use trop vite / le bonnet qui serre aux oreilles /
ma soeur aînée qui rit souvent / et je ne sais jamais pourquoi /
les visiteurs du soir / ne sont pas les bienvenus / ils apportent
les nouvelles / pénibles les papiers timbrés / les décès / certains
vous aiguisent vos couteaux / ou avertissent du cirque / un
petit cirque de ritals / crève-la-faim qu’on appelle chiffonniers
/ j’en ai déjà vu sur la route de Genève / autour d’un feu bleui
/ à la base ou au sommet / assis sur une cagette du genre / à
mettre des vieux jouets / ou transporter le bois / tout ce temps
passe et je m’oublie / le temps de me coucher / le temps de
partir au travail / tandis qu’elle monte encore en moi / si ça
se trouve / en toi aussi / peut-être / dis-moi comment tu fais /
quand ça t’arrive hé dis / l’ami ?
Dominique Fabre enseigne l’anglais dans un collège parisien. Il est l’auteur de quinze romans et recueils de nouvelles. Son roman Fantômes a été distingué par le Prix Marcel Pagnol (Le Serpent à plumes, 2001), et son recueil de nouvelles Pour une femme de son âge (Fayard, 2004) par la Bourse Thyde Monnier de la Société des Gens De Lettres. La critique a unanimement salué J’aimerais revoir Callaghan (Fayard, 2010) et Il faudrait s’arracher le cœur (L’Olivier, 2012).