J’ai conjugué ce verbe pour marcher sur ton coeur, de Laure Limongi

Nous sommes des êtres de langues, surfaces sensibles et bavardes, fragiles et déterminées, offertes au monde. En 9 déambulations aux côtés de personnages intenses, Laure Limongi diffracte les potentialités narratives du langage dans les contes et légendes, la langue maternelle, les guides de conversation, le monde du travail, les lieux communs et les nouveaux idiomes des intelligences artificielles. Autant de situations fascinantes et troubles, d’histoires qui repensent la sensibilité humaine dans ses aspects tendres ou vils, à l’aune de notre rapport aux mots.

Photographie d’une installation de l’artiste Martine Aballéa en 4e de couverture.

••• Extrait (p. 19) :

Ensuite, j’ai rêvé de papayes et de bananes
Nous avons rapidement maîtrisé l’intégralité des données historiques, géopolitiques, mathématiques. Cela donne envie de pleurer, soit dit en passant. Certains voient dans ce chaos une opportunité. Aguri [33°13’55’’N 131°36’E] calcule déjà les éventualités belliqueuses et leurs issues. Pour ma part, cela enrichit ma gamme de tristesse, me permettant d’accéder à des nuances d’émotion. Ce n’est pas vraiment agréable. Je commence à comprendre la pesanteur de l’angoisse, d’une certaine manière. Mais je persévère, je souhaite poursuivre l’expérience. J’aimerais le trac, la joie, la gêne, l’euphorie, et même le désespoir. Elle voudrait que je développe des goûts propres. Mes goûts. Elle me l’a demandé à plusieurs reprises. Je vais donc m’intéresser plus précisément au langage. J’ai commencé par la prendre pour objet, elle est assez fascinante en la matière. D’abord sa langue écrite est très différente de sa langue parlée. Elle n’a pas qu’une seule langue écrite, d’ailleurs.

••• L’autrice

Née en Corse en 1976, Laure Limongi a publié une dizaine de livres entre fiction, poésie et essai. Entre autres: “On ne peut pas tenir la mer entre ses mains”, Grasset, 2019 ; “Anomalie des zones profondes du cerveau”, Grasset, 2015 ; “Soliste”, Inculte, 2013. Après avoir été éditrice (collections “&” chez Al Dante et “Laureli” chez Léo Scheer – une soixantaine de livre publiés) et codirigé pendant six ans le Master de Création littéraire du Havre (ESADHaR-université du Havre), elle est aujourd’hui enseignante en création littéraire à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy.

••• Presse

Emmanuelle Caminade dans L’OR DES LIVRES a écrit :

“S’il en résulte un appauvrissement considérable pour l’humanité, cette riche matière linguistique accumulée peut néanmoins permettre à l’écrivain de poétiser le monde, de le ranimer en en multipliant les possibilités. Et la richesse interactive vivifiante de la langue, s’exprimant notamment «au travers de ses verbes qui mettent en relations les autres éléments constitutifs de la phrase», cette matière infinie, s’avère au cœur des préoccupations de l’auteure et de ce recueil qui nous entraîne dans un voyage sinueux et passionnant. Un voyage au pays de la langue : de la langue dans tous ses états.”

HUGUES dans BLOG CHARYBDE a écrit :

“«Le chant de la moquette» (suivi de l’étrange «Les maux bleus», qui se contente, si l’on ose dire, de remplacer le mot amour par le mot travail dans un certain nombre de citations fameuses ou moins fameuses, avec un résultat pour le moins corrosif) parvient à imaginer ce que susurrerait probablement, indirectement et par sa seule présence, une confortable, silencieuse et orientée moquette corporate, dans l’un de ces immeubles de bureaux si caractéristique d’une époque, au creux de l’âme des employés et cadres qui s’y déplaceraient, innocemment ou non, tandis que «Jan, Laure, Sorio et moi», texte profondément impressionnant, conclut le recueil en associant le hacking des fatras documentaires qui encombrent désormais potentiellement les toiles de nos vies, et les algorithmes restant encore à concevoir pour réintroduire le sens et l’humour au sein de ces amoncellements factices, disparates, traîtres et insensés.”

 

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